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Beethoven, si tu nous entends...

Interview croisée

Nicolas Simon et Robin Melchior

Après un premier disque dédié à la danse, comprenant des arrangements originaux de Ravel et Lalo (Pavane Records – 2017), la Symphonie de Poche s’empare de la musique de Ludwig van Beethoven, sous la forme d’une symphonie-hommage en cinq mouvements, conçue et arrangée par Robin Melchior. A l'occasion de la parution du disque le 4 décembre sous le label Klarthe, nous avons interviewé Nicolas Simon et Robin Melchior qui présentent ce projet hors du commun.

Qu'est-ce qui vous a poussé à vous associer autour de ce projet Beethoven ? 

NS (directeur artistique et musical) : A l’approche des 250 ans de la naissance de Beethoven, je ressentais l’envie d’imaginer un programme en hommage au compositeur avec La Symphonie de Poche. Robin a tout de suite manifesté son désir de contribuer à cette aventure beethovenienne. 

RM (arrangeur) : L'idée d’arranger des œuvres de Beethoven pour la Symphonie de Poche m’a vraiment enthousiasmé. En tant que pianiste, c’est un compositeur que j’affectionne depuis longtemps. En outre, j’ai eu l’occasion de m’immerger intensément dans sa vie alors que j’étais guide conférencier à la Philharmonie de Paris au moment de la magnifique exposition « Ludwig van ». Celle-ci m’a beaucoup inspiré par sa richesse documentaire et iconographique ainsi que par la qualité de sa muséographie.

Qui a eu d'abord l'idée de cette symphonie-hommage ? 

NS : L’idée est venue collectivement, lors d’une première rencontre avec Robin et Lucas, les deux arrangeurs principaux de l’ensemble.
Ma première idée était de compresser chacune des 9 symphonies de Beethoven en un arrangement d’une dizaine de minutes afin de pouvoir les parcourir toutes en un concert. Mais cette idée occultait un trait essentiel et constitutif de la pensée du créateur : sa capacité à renouveler la forme musicale d’une œuvre ; elle n’a donc pas été développée. 
Cependant, rendre hommage au compositeur en utilisant l’un des genres musicaux qu’il avait le plus questionné, fouillé, transcendé — celui de la symphonie — nous est apparue comme une évidence. 

RM : Pour ma part, j’ai d’abord imaginé décliner chacune des 9 symphonies sous la forme de petits pots-pourris écrits dans des styles divers et variés, mais cela risquait de nous éloigner trop de l’essence de la musique de Beethoven.

 

Je me suis alors souvenu de l’exposition à la Philharmonie et des tableaux et sculptures qui y avaient été exposés (Franz von Stuck, Gustav Klimt, Antoine Bourdelle…) : petit à petit, à la manière des Tableaux d’une exposition de Moussorgski, j’en suis venu à imaginer la structure du parcours comme une « promenade » à travers l’œuvre symphonique de Beethoven, avec un fil conducteur musical qui pourrait relier les grandes parties entre elle. Quoi de mieux que la Symphonie Pastorale (seule symphonie dite « à programme » du compositeur) pour accompagner cette déambulation ?

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Dans quel esprit avez-vous conçu cette œuvre ?

NS : Je souhaitais que cette œuvre offre un large portrait du compositeur, qu’elle mette l’auditeur en présence d’un grand nombre de ses œuvres, principalement symphoniques. Nous nous sommes inspirés de l’exemple de sa 6ème symphonie, de sa dimension extra-musicale.
Chaque mouvement de cette symphonie est une transposition musicale des états émotionnels du compositeur face à la nature (à la campagne, au bord du ruisseau, pendant l’orage, après l’orage…).
Dans notre symphonie - hommage, également agencée en 5 mouvements, chaque mouvement devient un épisode de la vie de Beethoven ou développe une thématique qui l’a particulièrement et durablement inspiré.
Leur enchaînement est sous-tendu par une trame dramaturgique, imaginée par Tristan Labouret, qui permet de considérer cinq aspects de l’évolution et de la personnalité du compositeur.
Tout le matériau musical est choisi en lien avec ces épisodes, dans son œuvre monumentale.

Comment avez-vous choisi les œuvres de Beethoven qui ont servi de ferments aux arrangements ?

NS : C’est Robin qui a eu la lourde responsabilité de ces choix. Lourde parce que le réservoir d'œuvres est extrêmement vaste et d’une qualité prodigieuse. Je souhaitais que les symphonies soient toutes citées (peut-être un souvenir de l’origine du projet) mais je ne souhaitais pas le circonscrire davantage dans cette entreprise. La liberté de Robin devait rester la plus grande possible.

RM : L’apport de Tristan Labouret a été fondamental. Grâce à son puissant esprit de synthèse, il a réussi à dégager cinq idées-phares, évoquant chacune un trait caractéristique de la vie ou de l’œuvre de Beethoven. Il a en outre associé plusieurs œuvres à ces cinq « portraits » ; j’ai donc pioché dans ses propositions pour concevoir, structurer et donner du sens aux cinq grands mouvements de la symphonie hommage. Je me suis permis certaines libertés, notamment pour des raisons musicales (parcours tonal, durée, caractère etc.) ou pour rendre plus cohérente la « forme globale » de l’hommage.

 

Je pense par exemple au « Scherzo » de la Symphonie Pastorale que j’ai utilisé en guise de « Trio » pour La révolte ; cette « Joyeuse assemblée de paysans » n’a pas grand chose à voir avec le style « héroïque » censé animer ce mouvement. Toutefois, son ajout trouve sa légitimé par rapport à la forme globale de l’œuvre et notamment au regard du prélude et des interludes qui évoquent tour à tour un moment choisi de la Symphonie Pastorale. Ainsi, le « Trio » de La Révolte se présente finalement comme un heureux interlude au milieu de la lutte entre Beethoven et son destin, et il fait ainsi le lien entre « grands portraits » et « promenades » — lien que l’on retrouve également dans le dernier mouvement (La réconciliation), « synthèse » du parcours. Ce passage central de La Révolte (et même de l’œuvre toute entière, en fait !) associé au « Es Muss Sein ! » du 16ème quatuor, est pour moi une véritable « clé de voûte ».

Vous êtes-vous attachés plutôt à des pages populaires du compositeur ?

NS : Le projet étant de brosser le plus largement possible l'œuvre du compositeur, il est naturel d’y retrouver quelques-uns de ses thèmes les plus emblématiques. Le fameux motif qui ouvre la 5ème symphonie trouve bien sûr une place de choix dans notre symphonie - hommage, aux côtés de l’Ode à la Joie ou du motif d’accompagnement de la célèbre sonate pour piano « Au clair de lune ».
Mais il fallait surtout que les pages choisies illustrent au mieux les épisodes de vie et thématiques retenus. 
Nous souhaitions aussi que cette symphonie - hommage rende compte de l’étendue de l’inspiration et du génie du compositeur. C’est pourquoi y sont citées des œuvres de toutes les périodes de sa vie ainsi que des œuvres appartenant à des genres différents (sonate, quatuor, symphonie, concerto, ouverture).

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Qu'est-ce que ce projet vous a apporté ?

NS : Le projet est une immersion totale dans l’œuvre d’un compositeur. C’est la première fois que La Symphonie de Poche s’offre une telle plongée. C’est aussi la première fois qu’elle commande un arrangement de cette envergure et de cette nature. Un arrangement qui est en fait une réelle composition, une œuvre nouvelle, inspirée par la musique de Beethoven.
Il offre aussi à l’ensemble une incursion dans un répertoire qu’il ne fait pas habituellement.
On pourrait penser que son instrumentarium singulier, avec une harpe, un accordéon, un marimba, le priverait de ces musiques du début du XIXème siècle pour lesquelles le choix des instruments et leur équilibre entre eux semblent si établis et immuables. En réalité, cette musique de Beethoven supporte complètement cette transposition à notre effectif. 
Elle permet à l’ensemble d’aborder un nouveau style, d’envisager un autre rapport à l’articulation, aux équilibres, de reconsidérer l’emploi de certains de nos instruments.

A titre personnel, ce projet m’invite à contempler avec plus de recul l'œuvre du compositeur. Nous sommes plutôt habitués à aborder, entendre, faire entendre ses pièces une par une, à des moments différents. Ici, ces mêmes œuvres se côtoient, dialoguent ensemble. Cette mise en relation m’aide à ressentir plus finement les liens qu’elles tissent entre elles, ce qu’elles ont en commun, ce qu’elles ont de spécifique. 
Cette fresque beethovenienne me permet d’embrasser le compositeur dans sa globalité, de sentir la cohérence de son développement, l’évolution de son style.

RMComme tou·tes les musicien·nes ayant un tant soit peu joué ou étudié Beethoven, j’avais conscience de l’immensité artistique de Beethoven. Mais par le long travail d'analyse puis d'arrangement que j’ai réalisé pour concevoir ce Beethoven, si tu nous entends, je crois avoir fini par véritablement faire l’expérience sensorielle de la puissance intellectuelle de Beethoven, de son inventivité, de sa modernité, de son originalité, de son intemporalité. Autant de choses que je croyais « connaître » mais dont je n’avais en fait jusqu’alors perçu qu’une petite partie. Et je dois dire que c’est absolument vertigineux.

 

En définitive, je crois que fréquenter d’aussi près Beethoven pendant si longtemps m’aura rendu nettement plus humble, en tant que musicien mais également en tant qu'individu. Alors, avec cette symphonie-hommage, j'espère juste être parvenu à le remercier, à ma manière.

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